“Élargir les horizons, renforcer les liens économiques : la triangulation germano-franco-tunisienne vers le continent africain”, tel est le thème de la journée qui a été récemment organisée par les ambassades de France et d’Allemagne en Tunisie, en partenariat avec le Cepex et les ministères du Commerce et de l’Économie en vue de rassembler officiels, diplomates et acteurs du secteur privé pour débattre des opportunités d’internationalisation des entreprises tunisiennes en Afrique subsaharienne. L’événement était, en effet, l’occasion de mettre en avant la coopération franco-allemande et son engagement à soutenir les entreprises tunisiennes dans leur processus d’internationalisation et d’exportation vers les marchés de l’Afrique subsaharienne.
Mettant l’accent sur les relations économiques entre la Tunisie et les deux pays européens, en l’occurrence l’Allemagne et la France, le secrétaire d’Etat auprès de la ministre de l’Economie et de la Planification chargé des PME, Samir Abdelhafidh, a souligné que les investisseurs allemands et français ont toujours une grande confiance dans le site Tunisie. En témoigne la hausse du nombre des entreprises allemandes et françaises qui ont élu domicile en Tunisie en 2023. De même, les entreprises déjà installées continuent, selon ses dires d’y investir. “Ce sont des tendances qui ne peuvent que nous réjouir”, a-t-il affirmé.
Evoquant les résultats d’une étude sur les entreprises françaises basées en Tunisie, Abdelhafidh a souligné les possibilités d’association et de partenariat entre ces entreprises dont la majorité est totalement exportatrice et orientée vers le marché européen et les PME tunisiennes pour pénétrer ensemble le marché subsaharien. Comment? C’est, estime-t-il, grâce aux importants atouts que présente la Tunisie et particulièrement les accords de libre-échange dont elle fait partie, en l’occurrence la Zlecaf et le Comesa. “Ce sont des accords qui sont importants parce qu’ils donneront des avantages pour les entreprises françaises et allemandes lorsqu’elles exportent à partir de la Tunisie ou lorsqu’elles s’associent avec les entreprises tunisiennes leur ouvrant, ainsi, la voie au marché de l’Afrique subsaharienne”, a-t-il indiqué, rappelant dans ce même contexte que les réformes relatives à l’amélioration du climat des affaires sont sur la bonne voie.
De son côté, Lamia Abroug, cheffe du cabinet du ministère du Commerce et du Développement des exportations, a mis en avant l’engagement politique du département dans la mise en œuvre de l’accord Zlecaf. Evoquant les faibles indicateurs de développement humain sur l’ensemble du continent ainsi que sa fragilité économique, Mme Abroug a indiqué que les relations de partenariat économique avec l’Afrique nécessitent une nouvelle approche qui rompt avec l’histoire coloniale du continent. “ Aujourd’hui, nous devons penser à une approche différente pour instaurer une plateforme d’échange entre l’Europe, la Tunisie et l’Afrique. Une approche qui soit avant tout humaine […] avec un échange gagnant-gagnant.”, a-t-elle conclu.
Se repositionner sur le marché africain ?
Soulignant la pertinence du concept de la triangulation, l’ambassadrice de France en Tunisie, Anne Guéguen, a précisé que cette initiative intervient “dans un moment géopolitique et géoéconomique très important”. Et la diplomate d’ajouter “la tectonique des plaques du système économique international est en train de bouger, de s’accélérer. On l’a vu pendant la crise Covid, on le voit avec les effets de la guerre russe en Ukraine. Et il est important de ne pas perdre de vue que dans tout ce mouvement de recomposition, il y a non seulement la montée en puissance et l’augmentation de la centralité du poids de l’Asie dans l’économie internationale, mais il y a aussi l’émergence, l’avenir, le potentiel très fort que représente le continent africain”.
Évoquant les atouts de la Tunisie, Mme Guéguen a cité sa proximité géographique avec l’Europe, son adaptabilité culturelle, son multilinguisme et surtout sa base industrielle manufacturière, exportatrice et très performante dont est doté le pays. Rappelant le réseau d’entreprises françaises installées en Tunisie et dont le nombre dépasse les 1.400, l’ambassadrice a fait savoir que la diaspora tunisienne, notamment en France, s’intéresse de plus en plus à la Tunisie en tant que site d’investissement. “On voit bien que cette intégration des chaînes de valeur, cette capacité à exporter, à investir et à se co-développer ouvrent aujourd’hui un chemin vers tout le continent africain. C’est bien l’ambition et le pari que l’on fait aujourd’hui, et on le fait bien sûr pas seul. La France est membre de l’Union européenne et travaille main dans la main avec ses partenaires, et le premier d’entre eux qui est l’Allemagne”, a-t-elle enchaîné. Mettant l’accent sur le projet Qawafel, l’ambassadrice de France a fait savoir que cette initiative, financée par l’Agence française de développement à hauteur de 8 millions d’euros et mise en œuvre par Expertise France, va aider les entreprises tunisiennes non seulement à exporter et investir davantage, mais aussi à s’implanter dans d’autres pays du continent africain. “On va faire cela à travers un écosystème tunisien que l’on va accompagner et on va essayer de renforcer un écosystème privé, mais aussi associatif et public, d’accompagnement des entreprises dans cette internationalisation vers les autres pays d’Afrique, dans les secteurs qui sont les atouts forts de la Tunisie, notamment le numérique, l’agroalimentaire, le pharmaceutique et la santé. Dans tous ces secteurs porteurs, il s’agit de faire en sorte que les structures accompagnatrices en Tunisie des entreprises soient pérennes dans leurs démarches”, a-t-elle poursuivi. Elle a ajouté que Qawafel vise à accompagner plus de 300 entreprises sur une période qui s’étale sur trois ans.
Les entreprises allemandes misent sur le savoir tunisien
Evoquant l’intégration économique de la Tunisie dans les chaînes de valeur mondiales, l’ambassadeur d’Allemagne en Tunisie, Peter Prügel, a en somme, souligné que la donne selon laquelle la Tunisie a été longtemps connue pour être un pays de sous-traitance est en train de changer. A en croire le diplomate, de plus en plus de groupes d’entreprises allemands, basés en Tunisie, investissent dans la recherche et le développement.
“C’est cela qui crée de la valeur ajoutée et de la productivité en Tunisie et cela montre surtout l’intérêt de ces entreprises comme tant d’autres à profiter de cette coopération avec la Tunisie comme un tremplin pour l’Afrique”, a-t-il commenté. Mettant l’accent sur l’importance du continent africain dans l’économie mondiale, l’ambassadeur d’Allemagne a insisté sur le fait que l’Afrique représente l’avenir. “Il y a dix ans, j’étais ambassadeur en Thaïlande à une époque où on parlait du XXIe siècle, du siècle asiatique.
Je crois qu’aujourd’hui, non seulement à cause du Covid, mais aussi pour tant d’autres raisons, nous nous sommes tous rendu compte que probablement, la deuxième moitié de ce siècle ne sera plus un siècle asiatique. Le continent qui importe pour nous, pour l’Europe et qui sera notre futur et notre futur commun, c’est plutôt le continent africain. Mais il faut que ce continent s’intègre davantage. C’est cette intégration africaine qui doit encore se refléter à tous les niveaux et dans tous les secteurs, y compris l’infrastructure et la logistique”, a-t-il affirmé.
L’Afrique est avant tout un partenaire
Corroborant les interventions des représentants de la partie tunisienne (Lazhar Bennour et Lamia Abroug), qui ont affirmé que l’Afrique n’est pas seulement un marché, mais plutôt un partenaire avec lequel il faut nouer un partenariat gagnant-gagnant, l’ambassadeur de la République Démocratique du Congo, Mwendanga Musengo Désiré-Salomon, a appelé à clarifier la place qu’occupe l’Afrique subsaharienne dans cette triangulation. “Ne pas clarifier les choses dès le départ, les gens risquent de se méfier, et avec raison, parce que le mot triangulation rappelle un autre concept de triste mémoire qui a conservé une activité triangulaire.
Et rappelez-vous que pendant ces trois siècles, l’Afrique a été vraiment empêchée de se développer, étant donné que sa sève, sa force, son énergie ont été exportées vers ailleurs, et pendant ce temps, l’Europe s’enrichissait.
Donc, marché humain à l’époque, marché de biens maintenant, l’Afrique contemporaine souhaite qu’on la place dans ce qui se passe”, a-t-il asséné. Faisant remarquer que l’Afrique n’est pas “un tout” globalisant, l’ambassadeur de la RDC a expliqué que chaque pays de l’Afrique subsaharienne a ses propres spécificités et ses propres besoins. Il a ajouté que la stabilité ainsi que les industries de transformation locales figurent parmi les priorités de son pays, évoquant dans le même sillage le poids démographique, mais aussi l’importance géostratégique de son pays. Rappelant les liens d’amitié historiques qui lient la Tunisie et le Sénégal, l’ambassadeur du Sénégal, Moustapha Sow, a mis l’accent sur l’importance d’exploiter ces liens et de favoriser d’une manière générale une coopération gagnant-gagnant et sincère.Evoquant en somme les problèmes rencontrés par les hommes d’affaires sénégalais, il a cité essentiellement les barrières non tarifaires, mais aussi la complexité des procédures de l’ouverture d’un compte bancaire pour les étrangers. “La Zlecaf est là, qui est une opportunité, qui est un adjuvant pour développer une relation commerciale et sans compter aussi les relations anciennes et présentes que nous avons avec la Tunisie, pays ami et frère. Je rappelle que la balance commerciale est déficitaire vis-à-vis du Sénégal. Nous travaillons à faire en sorte que cette balance soit équilibrée”, a-t-il conclu.